Manifestation du 31/01/2023

31/01/2023, Jacky et Bruno meurent, âgés respectivement de 59 et 58 ans. Le premier était agriculteur. Il venait de réceptionner de l'engrais et désherbait son jardin. Le second était avocat et s'était fait remarquer dans la lutte contre le terrorisme. Tous les deux auraient succombé d'une crise cardiaque, le jour où la population française manifestait contre la nouvelle réforme des retraites. Ils faisaient partie des baby-boomers à qui le gouvernement reproche le grand nombre pour justifier le recul de l'âge de départ à la retraite. Eux se sont éteints avant, alors que la presse appréciait la participation des élus à la manifestation, notamment celle de la Maire de la Capitale Outre-Mer en Mouvement, "qui a chaussé ses baskets pour suivre le cortège jusqu'à la Préfecture" (cf. Réforme des retraites : les élus réunionnais dans la rue - Zinfos 974 - 31/01/2023).

La Maire de Saint-Denis

Celle-ci est la première femme élue à la mairie de Saint-Denis de La Réunion. Elle arbore les couleurs du Parti Socialiste, parti dont le premier Chef d'Etat nomma comme premier ministre, un Turc naturalisé français, qui en 1993 réforma la retraite dans le privé en imposant les quarante annuités. À l'époque, un jeune universitaire baby-boomer, qui commençait sa vie active dans le privé ou en free-lance après avoir effectué son service militaire obligatoire - soit âgé au minimum de 25 ans - ne pouvait envisager un départ à la retraite avant 65 ans, suite à la réforme Balladur. Ce fait historique oublié par la mémoire collective rend, de facto, saugrenue la présence de la représentante du Parti Socialiste dans la manifestation contre le départ à 64 ans.

Pyramide des âges de la France en 1993

En 1993, la pyramide des âges montrait que l'effectif de la tranche des 65 ans était pratiquement deux fois inférieur à celui des tranches allant de 25 à 45 ans. Vivre après 25 années d'études suivies des 40 de dur labeur, pour un baby-boomer semblait avoir la même probabilité que de mourir sur les planches. Jacky et Bruno en sont hélas les témoins.

Toujours à la même époque, l'effectif des personnes nées en 1964, qui correspond aux plus jeunes des baby-boomers, était de 908 436. Dix ans après, en 2003, l'effectif atteint 923 900 âmes. Comment expliquer cette augmentation 15 464 individus ? Aurait-on eu un miracle en 2003 ? Des femmes auraient accouchées directement d'un bébé âgé de 39 ans ? Imaginez la tête de la mère lorsque le médecin lui annonce un garçon de 80 kg pour 1,80 m. Éventuellement, on pourrait supposer qu'il y ait eu une erreur de l'INSEE sur l'année 1964. Mais quand on compare l'aspect de la pyramide en 1993 à celui de 2003, on s'aperçoit très vite qu'en une décennie elle a pris des rondeurs.

Pyramide des âges de la France en 2003 Evolution de l'immigration en France

Il en ressort qu'une partie de l'augmentation de la population ne peut pas être imputée aux naissances, ce que confirme l'INSEE en écrivant : "en 2017, 44% de la hausse de la population provient des immigrés". Le flux migratoire annuel est croissant depuis 1993 (période pendant laquelle il s'était stabilisé) pour dépasser en 2019 les 270 000). L'explosion des naissances en France à la fin de la Seconde Guerre mondiale ne justifie pas à elle seule le nombre important de départs à la retraite. L'importance du flux migratoire apporte aussi une contribution non négligeable.

Analysons ce dernier point. En France, l'emploi produit les cotisations qui sont consommées par les retraités. Donc, s'il y a un flux migratoire important, il y a alors un potentiel de main-d'œuvre tout aussi important, qui, s'il devient actif, génère des cotisations. Ceci rappelé, nous remarquons que le constat de l'INSEE révèle une absurdité. Comment un pays qui augmente sa population par une immigration importante ne peut pas tenir ses engagements vis-à-vis de ses anciens (puisqu'il réforme depuis trente ans le régime des retraites) ? La réponse prend peut-être sa source dans l'origine des immigrants.

49% des immigrés viennent de l'Algérie, du Maroc, du Portugal, de la Tunisie, de l'Italie, de la Turquie et de l'Espagne (source INSEE). Tous ces pays, exceptée la Turquie, sont, en 2008, traversés par les gazoducs qui alimentent la France en gaz algérien. Quant à la Turquie, elle est le théâtre d'un projet de gazoduc pour alimenter l'Europe en gaz russe (source Sénat)

Politique énergétique européenne - Sénat. Politique énergétique européenne - Sénat.

Division géographique de la direction des Archives du Ministère des Affaires étrangères et européennes (c) 15 octobre 2008

Une hypothèse de réponse se dessine. Est-ce que la politique migratoire de la France serait pilotée, en partie, par sa politique énergétique sans tenir compte de ses réelles capacités d'embauche ? En d'autres termes, si le Président français se vante de trouver du travail en traversant la rue, en offre-t-il à un migrant traversant la frontière ?

Cher lecteur, je te sens taquin. Tu viens de relire le début de ce billet pour m'objecter que s'il est Turc, le Président peut toujours le nommer Premier Ministre. Certes, mais ce n'est valable que pour une personne, qui de plus a fait des études supérieures. Mais qu'en est-il des 269 999 autres ? Est-ce que le gouvernement se soucie du bien-être de ceux qui résident dans notre pays, ou est-il plus attiré par les flux financiers, par exemple par ceux générés par les industries gravitant autour du gaz naturel ?

L'hypothèse ne sera pas vérifée dans cet article, car elle demande une étude approfondie. Par contre, si elle s'avère juste, elle ouvre la voie à des travers, qui déjà pointent leur nez. Ainsi, dans son article À propos de Jacques Attali et de l’euthanasie : les chemins du déshonneur" publié dans Le Monde le 25 mars 1982 et mis à jour le 26 octobre 2021, Jacques ROBIN écrit "Attali répond que, la liberté fondamentale, c'est le droit au suicide ; il indique que, en régime socialiste de complète liberté, l'euthanasie sera reconnue ; il ajoute que l'évolution actuelle de la société marchande conduira inévitablement, elle aussi, à éliminer la vie par des procédés techniques lorsque cette vie s'avérera trop insupportable ou économiquement trop coûteuse."

L'extrait hautement visionnaire de l'écrivain laisse perplexe, surtout pour ceux de ma génération. Ceux-ci enfants, jouaient au jeu des sept familles, où chaque joueur devait constituer le plus de familles possibles. Chacune d'elles comprenait le père, la mère, le fils, la fille, le grand-père, et la grand-mère. Ce qui, à cette époque était normal. Les parents travaillaient. Les grands-parents apprenaient aux enfants l'histoire de la famille et des savoir-faire. Quand ils étaient trop vieux, leurs enfants s'occupaient d'eux. Aujourd'hui, les familles sont souvent dispersées par le travail et les études, forçant les grands-parents à vivre dans un EHPAD. L'homme parcourt alors sa vie en dehors de toute famille : la crêche, la scolarité, les études, le travail et la fin de vie se déroulent désormais à l'extérieur de la maison familiale. Chacune des étapes correspond à un marché économique dont les acteurs luttent pour le développer. En un demi-siècle il semblerait que la société marchande ait pulvérisé les familles pour vendre plus de transports, plus de logements, plus de téléphones, bref, plus de biens et de services. Quel désastre humain !

Lentement je me dirige vers l'entrée du complexe cinématographique. Les bornes ont remplacé les caissières. Seule une jeune femme distribue encore les pop-corn, en attendant l'arrivée du distributeur automatique. Le personnel disparaît peu à peu en cédant la place aux automates, bijoux de technologie qui ne cotisent pas. L'homme est poussé lentement vers la rue, où certains préféreront sûrement se suicider dès que le gouvernement leur donnera le droit et leur garantira l'absence de douleur. À moins que ce dernier préfère leur mentir en leur promettant une vie meilleure comme dans les exterminations de masse mises en images dans "Seven Sisters" ou "Cloud Atlas".