Douze février deux-mille-vingt-et-un, le pas alerte, souriant, il traverse le couloir vers la nouvelle partenaire économique. La poignée de main est chaleureuse, et la discussion commence sur des idées nobles : surprenant, pour une réunion d'affaires entre deux inconnus.

Elle le suit dans son bureau, où se trouve déjà le reste de l'équipe. Les négociations commencent. Elle vient de créer une entreprise de services et souhaite vendre ses prestations. Elle a déjà quelques prospects en vue, qu'elle nomme par leur titre et leur nom : respect oblige.

Lui, en tant qu'homme d'affaires, affirme avoir un bon réseau relationnel, et pour preuve, il renomme chacun des prospects de la dame par son prénom et ponctue ses phrases par des "je le connais très bien". Il enchaîne sur les méthodes de travail, et la trouve fort compétente. La séduction opère.

Elle, elle voit un homme affable, altruiste et bienveillant. Enfin, elle va pouvoir se reposer un peu de ce combat perpétuel, qu'on appelle le monde.

Aussi, bon prince, il propose de lui acheter des parts sociales de son entreprise pour l'aider à conquérir le marché.

Elle vient d'entendre la proposition, et la peur s'affiche un bref instant sur son visage : ce qui alerte aussitôt un membre de l'équipe. Elle s'explique alors, le plus sincèrement possible : la vie ne l'a pas épargnée, et elle refuse de souffrir dans la désillusion d'un espoir perdu.

La Sagesse vient de s'exprimer, mais personne, ne l'a entendue. Et pourtant, la date qu'elle avait choisie - le 12/02/2021, soit 1202|2021 - aurait dû sonner l'alarme. Ce palindrome - un miroir littéraire - annonce que ce, qui s'est joué, n'est que le reflet inversé de la réalité : L'homme d'affaires affable, altruiste et bienveillant, n'est en fait qu'un égocentrique, apathique et malveillant. Ce chefaillon, sous l'emprise de ses chimères, entraîne dans son sillage les rêveurs créatifs et les techniciens talentueux, pour les précipiter dans des difficultés financières et les destabiliser moralement.

Son intérêt est simple : un besoin de reconnaissance, qu'il assouvit au travers de projets grandioses.

Ceux-ci réclament des professionnels de l'imagination, des rêveurs créatifs, pour leur conception. Ces derniers sont ensuite relayés par des techniciens talentueux dont la précision et la rigueur transformeront le concept en objet. Et, comme toutes ces personnes vivent dans un monde marchand, qui n'accepte de les nourrir qu'en échange de monnaie, le projet doit alors être financé. Hélas dans ce cas, l'argent n'est pas au rendez-vous. Les salariés et les prestataires voient alors leurs promesses de revenus se dissoudre au fur et à mesure que les mois s'écoulent.

Tout commence par un chèque rejeté ou un virement qui n'a pas été exécuté. Le chefaillon s'excuse en évoquant une incompétence de l'employé gérant son compte bancaire. Naïve, la victime accepte l'excuse, qu'elle croit de bonne foi, et continue de vivre selon ses habitudes. Le mois suivant, l'argent n'est toujours pas versé, et la victime commence à se remettre en question, mais la véhémence du chefaillon, qui lui ressert la même excuse, la rassure.

Au troisième mois de non paiement, le chefaillon sort un nouveau discours. Il propose un nouveau contrat, qui permettrait de bénéficier de subventions. Ayant déjà entamé son autorisation de découvert, la victime voit, dans la proposition, une issue à son calvaire.

Mais en fait, le nouveau contrat est une remise à zéro des délais de paiement. La subvention n'étant pas encore versée, le quatrième mois ne l'est pas non plus, et la victime commence à changer ses habitudes. Elle reportera ses projets devenus inabordables financièrement, et quittera son logement pour un plus modeste, pour continuer à payer ses courses..

Lui, au lieu de la payer, engagera des fonds pour des locaux plus somptueux, ou un évènement médiathique. Et quand elle commencera à postuler pour un autre travail, alors il lui proposera de lui rembourser une partie des revenus impayés : juste de quoi régler ses dettes accumulées, et de retrouver l'espoir de tout récupérer. Alors, elle abandonnera sa recherche d'emploi, sans se douter que bientôt il n'aura plus besoin de ses services, car de nouvelles personnes ont déjà été séduites et la remplaceront, tout en subissant le même sort. Telle est la cruelle réalité de ce serpent, tantôt caméléon, tantôt renard.

En proie à la séduction, à la rétention d'information et aux mensonges incessants, d'autres préfèrent s'éloigner définitivement, quitte à abandonner les sommes espérées en contrepartie du travail effectué, et ainsi vivre à nouveau sereinement. D'une certaine façon, elles rachètent leur liberté.

Sans sombrer dans le paternalisme, l'image du bon père de famille, qui tous les jours dirige son entreprise pour que chacun de ses employés puissent vivre sans trop se soucier du lendemain, s'estompe peu à peu, pour céder la place à Mammon, qui, favorisant le Capital, sacrifie l'humain sur l'autel de la rentabilité.