Quelque part dans les Hauts de Seine, un dojo commence sa leçon du soir. Les athlètes se sont échauffés et entament un randori léger. Ils pratiquent tous l'Aïkido, sauf un judoka venu s'initier à la voie de l'amour et de l'énergie.

Comme il est nouveau dans le club, mais avec un vrai passé de combattant, le professeur lui attribue un partenaire de choix, un disciple maître de l'art, un unijambiste !

La modestie est certes une valeur morale essentielle au judo, mais le nouveau venu annonce sa victoire certaine dans un rictus mal dissimulé.

Le combat commence. Le judoka n'a qu'une pensée en tête : attraper l'adversaire et lui faucher son unique jambe.

Il tente des approches tantôt par la droite, tantôt par la gauche. L'unijambiste sautille à chaque fois et esquive les assauts. Mettant ces contres sur le dos de la chance, le judoka imagine déjà le balayage, juste au moment où la jambe revient au sol.

C'est trop facile. Allez, il se lance. Ses bras se tendent. La saisie est franche, et la chute rapide. Le judoka est au sol sous le regard moqueur de l'handicapé. Sa main n'avait pas touché le judogi, qu'il était saisi au poignet et projeté instantanément. Pas de doute : l'aïkidoka avait anticipé son attaque !

Le randori s'arrête, le professeur commence l'instruction. Il demande à un disciple de le rejoindre pour une démonstration d'une clé de bras. Il insiste sur la fermeté de la saisie de la main gauche. Le judoka est subjugué. L'Aïkido est un art où plus l'adversaire utilise sa force et plus sa chute sera violente : idéal pour une femme agressée par un lourdeau.

Bercé par les démonstrations qui s'enchaînent, notre combattant entre soudain dans une perplexité profonde en entendant les mots de l'enseignant.

"Pour vous, vous pouvez aussi mettre votre main droite sur l'épaule."

Le disciple maintient la pose. L'enseignant relache la prise, prend de sa main gauche sa manche droite, vide, la place sur l'épaule, et reprend la clé. Trois quarts d'heure venaient de passer et notre héros n'avait pas remarqué qu'un manchot dirigeait ce dojo.

Le cours se termine.

Le judoka remercie son adversaire et le professeur, avant de se diriger vers le bord du tatami. Là, il se retourne, comme l'impose le rituel, pour saluer le tapis. Au milieu la silhouette fantômatique de son orgueil réclame sa revanche. Alors, d'un léger sourire, il l'efface de son esprit. La modestie a révélé sa véritable valeur.