La Réunion porte bien son nom. Souvent il est fait la confusion avec le mot union. Ce dernier suppose le libre consentement, ce qui n'est pas le cas ici, car les habitants sont en grande partie issus de déplacements de population, comme celui des femmes de la Salpêtrière, des esclaves, des engagés, et des fugitifs craignant pour leur salut. Ils ont dû s'accomoder et vivre ensemble : ils ont été réunis sur l'île, par la force des choses.

La Réunion porte aussi bien son nom par son fonctionnement. Un simple regard sur les tableaux publiés par l'INSEE suffit pour voir que la production de l'île est dérisoire face à la consommation de ses habitants. En fait, les ressources financières viennent de l'Etat français, voire de l'Europe, par les rémunérations des fonctionnaires, les services sociaux, les prestations médicales, les subventions, et autres aides au développement. L'île est sous perfusion financière. La population se réunit régulièrement pour obtenir plus d'aides et se les répartir. Les termes utilisés alors, sont : les comités, les consultations, les enquêtes publiques, les élections, ou les manifestations.

Le partage n'est, bien entendu, pas équitable. Certains veulent une part plus importante et font tout pour l'avoir. Certains prônent des solutions miracles, quand d'autres se vantent de ce qu'ils auraient pû faire. Des alliances contre nature s'établissent entre hommes politiques et chefs d'entreprises, qui de temps à autre font la une des journaux. Et, c'est comme ça qu'en 2017, La Réunion a été classée comme étant la sixième région de France la plus corrompue.

D'où, dans une région de moins d'un million d'habitants, vivant grâce aux impôts de 67 millions de personnes, voire  741 millions si on compte l'Europe, et du bon vouloir de ses élus, deux voies s'offrent à vous pour y survivre. La première consiste à rentrer dans le système, d'en accepter sa corruption et se battre pour récupérer le plus possible de la manne étatique. La seconde est de s'en éloigner et laisser les crabes jouer entre eux.

La première est source de stress permanent. Quant à la seconde, elle n'est pas conforme à ce qu'il nous est enseigné. Elle semble angoissante et l'entourage nous en décourage. Pourtant, s'il y a une possibilité d'obtenir suffisamment de calme pour un voyage intérieur, ça ne peut être que là. Un premier pas est à faire, un choix, un peu comme celui de la pilule bleue ou de la rouge dans Matrix : une décision irréversible.

Un dernier regard sur ce qui vient d'être écrit. Je relis. S'il vous plaît, ami lecteur, un peu de silence : l'instant est solennel. Tiens, j'ai écrit ça ? Laisser les crabes jouer entre eux. Mais, que signifie ce détachement envers mes congénères ? Oh, non ! Sacrebleu ! J'ai déjà avalé la rouge ! Oui, le départ a été pris il y a une dizaine d'années, pour un premier cap sur l'humilité.

L'humilité est la prise de conscience de ses limites et de ses faiblesses, et l'arc nu, en tir instinctif, est un moyen de l'atteindre. Cette discipline sportive se pratique avec un arc dépouillé. Il n'y a pas de viseur, ni clicker, ni stabilisateur, ni décocheur. Juste une poignée, deux branches et une corde. À ce stade, il est déjà difficile de mettre la faute sur le matériel en cas de mauvais tir. Mais il existe quand même une possibilité de viser en déplaçant la main sur la corde et en s'aidant des points de couture de la palette. Donc, la mauvaise foi se terre dans la régularité de la couture.

Dans le tir instinctif, la main reste au contact de la flèche, quelle que soit la distance de la cible. Si la flèche n'atteint pas la cible, c'est que l'archer n'a pas fait le bon geste. L'excuse matérielle n'est pas de mise : l'homme est livré à lui-même. L'anecdote suivante illustre l'humilité.

En 2011, en Australie, à Wagga Wagga, j'ai participé au  World Bowhunting Championship. C'était un championnat mondial d'archerie en plein air, qui a rassemblé plus de 5000 participants. Un évènement extraordinaire, où j'ai terminé 26ième. Dit comme ça, il n'y a pas d'humilité, juste de l'orgueil : la fierté d'un bon score. Mais est-ce vraiment un bon score ? En fait, dans la discipline, nous étions 28, et deux n'ont pas terminé les épreuves. Un avocat pourrait alors prendre ma défense en remarquant que la compétition était internationnale, donc faisait l'objet d'une sélection. "Objection, maître, elle était ouverte à tous les licenciés. Il suffisait de s'inscrire." Là, le 26ième devient le dernier ! L'humilité n'est toujours pas présente, juste de l'autoflagellation. Maintenant, si on regarde les points obtenus, mon score était plutôt moyen. Non, je ne suis pas Robin des Bois, mais je touche la cible, plutôt en son centre : certains tirs sont bons, d'autres plus mauvais. L'humilité est là, dans la conscience de ses limites. Le tir à l'arc, comme l'explique très bien Paulo Coelho, dans son livre La Voie de l'Archer, offre des béquilles qui permettent de l'entretenir.

La photographie ci-dessous correspond à un tir à 18 mètres. L'état d'esprit était tel, qu'une parfaite harmonie unissait non seulement mon corps, l'arc, les flèches et la cible, mais aussi les autres archers, qui se sont un instant arrêtés de tirer. L'ensemble ne faisait plus qu'un tout, où chacun des traits volait pour se poser là où était sa place. Une fois la dernière flèche tirée, nous nous sommes tous regardés, satisfaits uniquement d'avoir partagé cette fusion exceptionnelle. L'humilité permet de réaliser de belles choses !