(Le poster est à lire comme un manga)

Le 08/06/2023, l'image résumant une année d'étude se projette sur l'écran. Un homme s'avance vers le micro, avec un sac à dos et les souvenirs récemment achetés. Le présentateur est plutôt ébahi par un tel accoutrement qui ne correspond pas aux costumes des candidats précédents. Peu importe, l'homme prend la parole et commence : " My name is Olivier PONS, I'm an independant engineer and work with Energy Lab, a laboratory of the University of La Réunion. Satellite Swim Lane is a low cost concept to test the spacecraft attitude control ... "

Désolé, cher Lecteur, de ne pouvoir retranscrire la suite. Comme elle ne correspondait pas à celle prévue, et qu'elle était le fruit de la spontanéité, seules restent les émotions d'avoir vécu un moment biblique, qui te sera narré avec la plus grande précision.

L'unique raison officielle de ce voyage est cette journée, ou plutôt cette fin d'après-midi où une cinquantaine de candidats vont présenter le travail de leur équipe sur une simple affiche à plus de 500 spectateurs venus de contrées lointaines.

En tout cas, c'était pour cela que je m'étais inscrit, il y a six mois de ça, lors de la soumission de mon projet au comité de l'ISTS. Celui-ci l'approuva, et un article a été rédigé. Lors de son enregistrement en ligne, le site offrait la possibilité de changer la finalité de la présentation. Aussi, ai-je délaissé l'écrit pour l'oral. L'entraînement à l'exposé m'occupa les quelques jours précédant le départ. À cet instant, seule une légère anxiété était présente, car l'anglais n'est pas mon fort. Cependant, la stratégie adoptée était rassurante : réciter pendant 15 minutes un texte préparé et laisser un anglophone de l'équipe répondre aux questions pendant 5 minutes.

Lors des formalités à l'ISTS, l'anxiété muta en angoisse. Le changement de présentation n'avait pas été pris en compte. Tout nouveau créneau pour un exposé étant impossible à programmer, les organisateurs attendaient mon poster. J'avais deux jours pour le concevoir et le faire imprimer. À ceci s'ajouta la modification de la présentation : 30 secondes pour le texte récité et un peu plus d'une heure pour les questions en solo. Adieu l'équipier anglophone, bonjour la panique.

La conception dura toute la première journée pour être rejetée par le doyen à l'aube du second jour. La seconde version fut soumise à midi. Sans retour après une heure d'attente, la décision de l'imprimer et de l'enregistrer fut prise.

Trouver un imprimeur à Kurume permit de prendre conscience des modifications sociales entreprises par Google. En effet, si celui-ci indique au mètre près les coordonnées, il oublie de préciser l'altitude, et c'est comme ça, que devant un marchand de fruits et légumes, qui était à l'adresse indiquée et ne parlait que le japonais, il a fallu lui expliquer que je voulais imprimer un fichier.

Naïvement, j'ai sorti ma clé pour la lui montrer, puis je me dirigeai vers une affiche dans son magasin, espérant que mon interlocuteur fasse le lien entre un fichier numérique et une impression sur papier. Le message passa. Ou plutôt un message passa. Car, il m'expliqua avec ses gestes que ce n'était plus la saison des fruits que je montrais...

Une sueur froide envahit mon visage : le temps s'écoulait lentement vers l'échéance de la remise des documents et mon projet était bloqué.

Une autre personne entra dans le magasin et comprit qu'il y avait un quiproquo. Elle me guida vers un autre magasin doté d'un accueil, qui en voyant l'adresse, m'indiqua le sixième étage. Oui, l'imprimeur et le primeur occupaient, sur le plan, le même emplacement. Google met à plat ce qui a du relief : soit une sorte de nivellement par le bas.

Là, la communication fut plus facile sous la bienveillance du globish. La responsable apprit que la France possédait des îles dans l'océan Indien et après un échange chaleureux, je repartis avec mon affiche en direction du Grand Hall, lieu où se déroulait l'ISTS.

À la Réception, commença l'enregistrement en ligne du poster. L'opération qui ne devait être qu'une simple formalité mobilisa deux Japonaises et un Turc pendant une heure. Ce dernier servait d'interprète entre le japonais et l'anglais. La dubitation s'annonça. Pourquoi ne pas avoir pris un Japonais parlant anglais ?

Le doute céda la place à la satisfaction, quand l'enregistrement en ligne valida mon poster. Plutôt joyeux, je retournai vers l'hôtel. En passant devant une banque, je décidai de retirer un peu d'argent, l'imprimerie ayant récupéré mon dernier billet. La banque refusa ma carte, car elle n'était pas japonaise. Panique ! Rentré tout déconfit à l'hôtel, un coup de fil m'annonça que je devais réimprimer le poster alors que la journée se terminait et que matériellement, je ne pouvais plus régler les frais.

Là, quelque chose prit le relais dans mon cerveau. Les émotions ont été littéralement effacées, les priorités se sont organisées et les solutions ont débarqué sous le commandement d'un esprit guerrier. Il fallait tout recommencer ce qui avait pris une demi-journée, en moins d'une heure. Et c'est ce qui fut fait. La machine humaine est extraordinaire lorsqu'elle est bien huilée.

Cher Lecteur, j'attire ton attention sur une précision. Elle te semblera anecdotique, mais en fait, elle est la raison même de ce billet. Quand je suis retourné chez l'imprimeur, la femme, qui m'avait accueilli, avait terminé son service. Deux hommes la remplaçaient et, dans la précipitation, se trompèrent sur la qualité du papier. Ils ne parlaient que le japonais, et il a fallu leur faire remarquer que le prix ne pouvait pas être le même, puisque ce n'était pas le même résultat. Voyant leur erreur, ils s'excusèrent et réajustèrent le tarif, que notre doyen honora. En contrepartie il accepta mon invitation au restaurant. Oui, ne pas avoir de liquide n'empêche pas de régler une addition avec une carte bancaire. Mais la précision repose sur la présence de la précipitation.

La nuit passa calmement, et au matin du 08/06, c'est avec une légère tachycardie que je me dirigeais vers le Grand Hall. L'angoisse était bien présente, et pour cause : je m'apprêtais à présenter un satellite, qui, avant de voler vers la Lune, devait d'abord nager dans une piscine. Machinalement, les mains prirent les punaises et l'affiche fut épinglée. Alors, retournant à l'hôtel, l'une des Japonaises de la Réception m'interpela. Elle me tendit une clé USB en m'annonçant qu'une femme l'avait apportée pour moi...

Cher Lecteur, te rappelles-tu de l'anecdote ? La veille, dans la précipitation, j'avais oublié ma clé chez l'imprimeur. La responsable et son équipe ont tout mis en œuvre pour que je puisse l'avoir avant ma présentation. Leur entreprise s'ouvrait à 10h, et à 8:30, soit 1:30 avant l'ouverture, la clé était de nouveau en ma possession ! Un vrai miracle. En tout cas, c'est comme ça que je l'ai vécu, et conscient de ce signe divin survenu juste quelques jours après la Pentecôte, j'ai pu parler sans encombre pendant au moins une heure, à des personnes de nationalités différentes, de la nécessité, pour un CubeSat, d'être immergé dans une piscine avant de rejoindre le ciel !

Tu concèderas, cher Lecteur, que les allusions au Saint-Esprit et au baptême sont flagrantes, et font de Kurume non plus un simple lieu de réunion de scientifiques, mais celui d'un rendez-vous spirituel.

(la clé USB à l'origine de ce billet et les fleurs du remerciement)