La robe qui tourne

Payankeu utilise le même phénomène physique pour déployer ses voiles que "La robe qui tourne" présentée par "Identité Marmaille".

En 1997, soit deux années avant que les américains définissent le CubeSat, le cosmonaute Pavel Vinogradov lançait, de la station MIR, une maquette opérationnelle de la taille d'un ballon de basket du premier satellite artificiel : "Spoutnik 40 ans" était né. Comme sa fabrication était l'oeuvre de collégiens réunionnais et russes, elle inscrivait, de facto, La Réunion dans les précurseurs du nanosatellite éducatif.

Un quart de siècle plus tard, à l'ère des constellations artificielles, la mémoire collective de l'île avait oublié son passé de conquérant de l'espace, et c'est à cet instant que le projet d'un voilier solaire apparut dans l'actualité. La sonde Payankeu se révéla au public : des étudiants réunionnais veulent construire un CubeSat, mu uniquement par les rayons solaires, pour photographier la face cachée de la Lune. Cette expérience est une première. Certes des voiles solaires ont déjà été expérimentées, notamment pour désorbiter un satellite en fin de vie, ou pour le maintenir sur son orbite. Dans le cas de Payankeu, le voilier tire des bords : il modifie sa trajectoire !

Cependant, si la communauté internationale a très bien accueilli le projet en acceptant sa présentation dans plusieurs congrès, les élus et les principaux acteurs économiques de l'île sont restés plus dans l'expectative, et ce, malgré les articles de presse et les diffusions radiophoniques. Quant à l'Université de La Réunion, celle-ci était surtout préoccupée par la suspension de son président pour harcèlement moral. Or, sans l'Université pour les guider pendant la phase de conception, sans les entreprises pour la réalisation et sans les élus pour débloquer les fonds, les étudiants sont dans l'incapacité de mener le projet à son terme. D'ailleurs, c'est avec un comportement similaire que La Réunion s'est retrouvée écartée du marché des nanosatellites actuellement florissant, alors qu'en 1997, elle faisait partie des pionniers.

À la lecture de ce constat, une première question se pose : comment un projet dont le terreau est aussi inapproprié a pu être présenté sur la scène internationale ? La réponse est l'U3P. Cette association a démontré qu'avec peu de moyens et beaucoup de volonté, il est possible de faire des études ayant une qualité suffisante pour être présentées dans un congrès. Elle y a aussi constaté l'absence totale des élus et des acteurs économiques de l'île. Une première réalité s'impose. Quiconque ayant la volonté de présenter un projet dans un congrès sur l'espace séduira les étrangers et non les Réunionnais. De ce fait, l'économie spatiale réunionnaise passe obligatoirement, dans un premier temps, par la collaboration avec des acteurs bien au delà des frontières de l'île. "Spoutnik 40 ans" en est la preuve. Sans les Russes, il n'aurait jamais vu le jour.

Une seconde question se pose alors : comment le projet Payankeu peut séduire une entreprise ? Il est clair qu'il n'y a aucun intérêt économique à prendre une photographie de la face cachée de la Lune ou démontrer la faisabilité de la propulsion photonique, car c'est déjà fait. De ce fait, la réponse au Challenge Terre-Lune ne présente, sous cette forme, qu'un intérêt scientifique pour des universitaires. Le programme Payankeu doit alors changer, s'il veut intéresser une entreprise. Il doit ouvrir le champ de sa mission sur un débouché commercial et non se limiter au seul challenge.

Le 34° ISTS apporte quelques éléments pouvant composer le nouveau programme. Le thème du symposium de 2023 était "l'espace pour tous", et la conquête de la Lune y était clairement exposée, notamment avec la station Gateway qui évoluera en orbite autour de la Lune. Dans le cadre du voyage sidéral, une station peut être vue comme un port. Elle accueille aussi bien les vaisseaux qui restent dans l'espace, que ceux qui voyagent vers l'astre autour duquel elle tourne. Payankeu pourrait alors devenir un démonstrateur de cargo entre l'ISS et Gateway. Il serait obligatoirement hybride. Il utiliserait les moteurs pour les manoeuvres d'abordage et la voile en croisière. Comme Gateway sera en orbite autour de la Lune, Payankeu devra avoir la capacité de survoler la face cachée de notre satellite naturel, pour rejoindre la station lorsqu'elle sera au plus éloigné de la Terre. Comme la voile lui offrira une autonomie totale, il devra pouvoir naviguer sans ses moteurs pour être récupéré par un véhicule motorisé à proximité d'une station et ainsi faire face à une panne sèche. Le Challenge Terre-Lune devient alors son test de validation et non sa finalité.

Si en redéfinissant le projet il est envisageable d'attirer les entreprises présentes à un congrès, la question de la définition de l'étudiant réunionnais devient cruciale. Que se cache-t-il derrière cette notion ? Fait-elle référence à un étudiant inscrit à l'Université de La Réunion ou à un natif de l'île qui fait des études supérieures, et ce, sans tenir compte de l'endroit où il est inscrit ? L'expérience Payankeu a répondu à cette question en choisissant les deux notions. L'Université de La Réunion y a apporté un soutien indéniable et la diaspora y a été fièrement représentée. Ceci a pu se faire grâce à la présence d'un coordonnateur, Dr. Guy Pignolet, dont le réseau relationnel est très bien adapté à de tels projets.

En conclusion, de l'expérience Payankeu, il en émane que pour aboutir, un projet de nanosatellites éducatifs réunionnais devrait être :

  • coordonné par une personne ayant un réseau relationnel adapté ;
  • étudié par une équipe d'étudiants issue de l'Université de La Réunion ou de la diaspora ;
  • financé juste pour les phases d'études ;
  • présenté à des congrès internationaux ;
  • et réalisé avec des entreprises étrangères.

En agissant ainsi, l'île développerait à moindre frais, une réelle compétence dans le spatial, tout en laissant le temps aux élus et aux principaux acteurs économiques d'appréhender l'intérêt de ce secteur d'activité.