Le soleil vient de se lever, vous êtes réveillé et votre ventre vous rappelle qu’il est vide : il attend son petit déjeûner. Dehors, un chat vient de s’étirer, et entame sa marche vers le jardin du voisin. Il se met à l’affût et attrape un moineau encore endormi : le félin vivra un jour de plus en absorbant la vie de l’oiseau. Devant ce spectacle, vous décidez d’en faire autant. Vu votre poids, un lièvre est nécessaire. Vous attrapez un vieux manche à balai, le taillez et vous voilà chasseur dans les champs. Après tout, si le chat peut le faire, vous aussi.

Et, bien non, vous ne pouvez pas, car c’est interdit. Il est interdit de chasser au commun des mortels. Seuls ceux qui ont leur permis peuvent le faire, et seulement à des périodes et dans des endroits bien déterminés. Ce bout de papier, qu’est le permis, octroie à certains d’entre nous un privilège que les autres n’ont pas : le pouvoir de chasser. Les chats chassent en toute liberté, nous, les hommes, l’espèce animale la plus développée, la plus intelligente, nous devons être autorisés à le faire. Déjà parmi vous, lecteurs, certains auront trouvé de bonnes raisons à cet interdit, comme la protection des espèces. Mais la vérité est avant tout politique : la chasse est interdite pour obliger le citoyen à travailler1.

Pendant que le chat déguste sa proie, vous, vous avez toujours faim, et vous devez travailler pour légalement obtenir le permis de chasse ou aller acheter chez l’épicier le plus proche votre frugal repas. Dans les deux cas, vous allez devoir utiliser un nombre suivi d’un symbole qui représente une unité monétaire : l’euro, par exemple. Pour pouvoir manger, vous devez transférer des unités monétaires de votre compte bancaire à celui de l’État (permis de chasse) ou du marchand (frugal repas) : c’est de l’économie. D’où, contrairement aux autres espèces animales qui exploitent directement ce qu’offre l’environnement, l’espèce humaine a inventé un monde politico-économique entre les ressources de notre planète et ses membres. Il est composé d’entreprises qui peuvent prélever les richesses naturelles, les transformer, les transporter, et les commercialiser. Pour accomplir leurs travaux, elles ont recours à des actionnaires2 et à du personnel3 en échange d’une rémunération (dividendes, salaires, etc.).

Ce monde, que nous avons créé nous impose, pour nous nourrir, d’investir dans une entreprise ou de travailler pour elle. Trois classes sociales actives4 en découlent : les actionnaires, les salariés et les travailleurs indépendants.

Pour vivre correctement uniquement en tant qu’actionnaire, il faut un investissement initial très important, souvent proche du million d’euros. Commencer sa vie ainsi n’est réservé qu’à une minorité : les gagnants d’un jeu d’argent et les héritiers d’une fortune familiale.

Pour vivre toute sa vie en tant que salarié, il faut être fonctionnaire ou offrir des compétences que les machines n’ont pas. Or, avec l’évolution de l’informatique, l’homme est de plus en plus remplacé par un robot5. D’un autre côté, un grand chantier commencé au XX°s remplace la garantie de l’emploi de la fonction publique en précarité6. Tout semble être fait pour que le salarié soit une espèce en voie de disparition.

Au vu de ces éléments, la réponse à la question initiale est d’une évidence déconcertante. Un individu se met généralement à son compte quand la chasse lui est interdite, sa trésorerie insuffisante pour être rentier, et que dans son domaine d’activité, l’emploi salarié est menacé. C’est rarement un choix à proprement7 parler, mais souvent une contrainte comme sa nationalité, son sexe, ou sa couleur de peau.

Bref, il faut faire avec.


1L’un des exemples les plus frappants est illustré par l’ordonnance de Jacob De La Haye du 1/12/1674, qui donne les bases de l’organisation de Bourbon, île qui deviendra par la suite La Réunion, département et région française. Celle-ci annonce que « La chasse est interdite, attendu que nous avons observé que la liberté de la chasse rend les habitants paresseux. » Elle indique aussi qu'en cas de récidive, le braconnier sera puni de la peine de mort.

2L’actionnaire investit dans l’entreprise pour qu’elle achète l’équipement dont elle a besoin. Il est rémunéré en retour par une part sur le bénéfice réalisé appelé dividente.

3Le personnel exploite l’équipement de l’entreprise pour réaliser un travail. Il est rémunéré au temps passé par un salaire.

4Ces classes ne sont pas isolées et certaines personnes peuvent appartenir à plusieurs d’entre elles : un gérant de SARL peut être à la fois actionnaire et salarié.

5Exemple, nous vivons la disparition des employés de caisse. Les caisses automatiques ont commencé leur attaque au niveau des grandes surfaces, et maintenant, elles s’emprennent aux boulangeries, où la caisse enregistreuse est reliée à des automates monétiques.

6Les institutions ont de plus en plus recours à la vacation, à la sous-traitance et à la délégation de services. Par exemple, la quasi-totalité des enseignants de la CCIR sont des prestataires et nombreux sont ceux qui y ont fait pratiquement toute leur carrière.

7Certaines personnes peuvent sembler avoir fait le choix de se mettre à leur compte, comme les médecins ou les avocats. Mais en fait, leur profession s’exerce ainsi. D’ailleurs, nous voyons depuis quelques années la création de sociétés de médecins ou d’avocats.